Rosa Luxemburg, femme révolutionnaire, debout contre la guerre et l'impérialisme, assassinée il y a juste cent ans
Il y a exactement cent ans, le 19 janvier 1917, Rosa
Luxemburg était assassinée, avec la complaisance des sociaux-démocrates
allemands, qui l'avaient exclue du Parti social-démocrate en janvier 1917, avec
tous les membres du parti opposés au vote des crédits de guerre. Son corps est
jeté dans une rivière. Karl Liebknecht, premier député allemand qui a voté
contre les crédits de guerre, contre les ordres de son parti,est assassiné le
même jour qu'elle. Elle venait de passer plusieurs années en prison, condamnée
pour "trahison" parce qu'elle s'est opposée à la boucherie
inter-impérialiste à venir. Tout au long de sa vie, Rosa est restée une
révolutionnaire intransigeante, dénonçant sans relâche la guerre à venir. Cela
lui vaudra d'être inculpée d'" incitation publique à la
désobéissance".
Au lendemain de la guerre, elle soutient les mouvements
révolutionnaires partout en Europe, et en Allemagne où elle a choisi de
militer.
9 novembre 1918 : KARL LIEBKNECHT proclame la Libre République Socialiste d'Allemagne
Dans toute l'Europe, les ouvriers et paysans revenant du front, savent
que des millions d'hommes sont morts dans une guerre qui n'est pas la leur,
inspirée par la soif de profit et en particulier, par la volonté des grandes
puissances de se repartager les colonies et la domination des peuples. Dans
nombre de pays, ils se soulèvent et la colère gronde. Le suffrage électoral
universel (mais sans le vote des femmes) est alors accordé dans de nombreux
pays, dont le nôtre, car les gouvernants redoutent la révolution, inspirée par
l'expérience soviétique.
Le vote des crédits de guerre par tous les partis
sociaux-démocrates est le point de rupture dans le mouvement ouvrier entre ceux
(les futurs partis socialistes) qui soutiennent le régime impérialiste et ceux
(les futurs partis communistes) qui le combattent.
Voici ce qu'elle déclarait face à ses juges, le 20 février
1914, à Francfort : « D’entrée de
jeu, je souhaite faire une remarque. Je suis tout à fait disposée à fournir à
M. le procureur et à vous, Messieurs les Juges, ces éclaircissements
exhaustifs. Pour aller tout de suite à l’essentiel, je tiens à déclarer que ce
que le procureur, s’appuyant sur les rapports de ses témoins principaux, a
décrit comme étant ma façon de penser, comme mes intentions et mes sentiments,
n’est rien qu’une caricature plate et bornée, tant de mes discours que des
méthodes d’agitation social-démocrates en général. En écoutant avec attention
les déclarations du procureur, je n’ai pu m’empêcher de rire intérieurement. Je
me disais : voici encore un exemple classique prouvant qu’il ne s’agit pas de
posséder une culture formelle pour saisir dans leur subtilité scientifique et
leur profondeur historique les modes de pensée sociaux-démocrates, pour
comprendre nos idées dans toute leur complexité, dès lors que fait obstacle à
cette intelligence l’appartenance à une classe sociale donnée. Si, Messieurs
les Juges, de tous les gens présents aux réunions que je tenais, vous aviez
interrogé l’ouvrier le plus frustre, il vous eût donné une tout autre image,
une tout autre impression de ce que j’ai dit. Oui, les hommes et les femmes les
plus simples du peuple travailleur sont sans doute en mesure de comprendre nos
idées qui, dans le cerveau d’un procureur prussien, se reflètent comme dans un
miroir déformant. Je voudrais démontrer maintenant ce que je viens de dire en examinant
quelques points précis. […]
Mais j’en viens au
point essentiel de l’accusation. Voici le grief principal du procureur :
j’aurais, dans les déclarations incriminées, appelé les soldats, en cas de
guerre, à ne pas tirer sur l’ennemi. Il aboutit à ce résultat par une déduction
qui lui parait d’une logique contraignante. Voici le raisonnement : étant donné
que je faisais de l’agitation contre le militarisme, étant donné que je voulais
empêcher la guerre, je ne pouvais manifestement choisir d’autre voie, je ne
pouvais envisager d’autre moyen efficace que cet appel direct aux soldats : si
on vous donne l’ordre de tirer, ne tirez pas. N’est-ce pas, Messieurs les
Juges, une belle conclusion, d’une concision convaincante, d’une logique irrésistible
! Permettez-moi pourtant de vous le déclarer : cette logique et cette
conclusion résultent des conceptions de M. le procureur, non des miennes, non
des idées de la social-démocratie. Ici je sollicite tout particulièrement votre
attention. Je dis : la conclusion selon laquelle le seul moyen efficace
d’empêcher la guerre consisterait à s’adresser directement aux soldats et à les
appeler à ne pas tirer, cette conclusion n’est que l’envers de la conception
selon laquelle tout est pour le mieux dans l’État, aussi longtemps que le
soldat obéit aux ordres de ses supérieurs, selon laquelle, pour dire les choses
brièvement, le fondement de la puissance de l’État et du militarisme, c’est
l’obéissance passive, l’obéissance absolue(1) du soldat. Cette conception de M.
le procureur se trouve harmonieusement complétée par celle du chef suprême des
armées telle qu’elle a été diffusée officiellement.
Recevant le roi des
Hellènes à Potsdam le 6 novembre de l’an passé, l’empereur a dit que le succès
des armées grecques prouve « que les principes adoptés par notre état-major
général et nos troupes sont toujours les garants de la victoire s’ils sont
appliqués correctement ». L’état-major avec ses « principes » et l’obéissance
passive du soldat, telles sont les bases de la stratégie militaire et la
garantie de la victoire. Eh bien, nous autres sociaux-démocrates, nous ne
partageons pas cette façon de voir. Nous pensons au contraire que ce ne sont
pas seulement l’armée, les « ordres » d’en haut et l’ « obéissance » aveugle
d’en bas qui décident du déclenchement et de l’issue des guerres, mais que
c’est la grande masse du peuple travailleur qui décide et qui doit en décider.
Nous sommes d’avis qu’on ne peut faire la guerre que dès lors et aussi longtemps
que la masse laborieuse ou bien l’accepte avec enthousiasme parce qu’elle tient
cette guerre pour une guerre juste et nécessaire, ou bien la tolère patiemment.
Si au contraire la grande majorité du peuple travailleur aboutit à la
conviction – et faire naître en elle cette conviction, développer cette
conscience, c’est précisément la tâche que nous, sociaux-démocrates, nous
assignons – si, disais-je, la majorité du peuple aboutit à la conviction que
les guerres sont un phénomène barbare, profondément immoral, réactionnaire et
contraire aux intérêts du peuple, alors les guerres deviennent impossibles –
quand bien même, dans un premier temps, le soldat continuerait à obéir aux
ordres de ses chefs ! Selon la conception du procureur, c’est l’armée qui fait
la guerre ; selon notre conception, c’est le peuple tout entier. C’est à lui de
décider de la guerre et de la paix. La question de l’existence ou de la
suppression du militarisme actuel, c’est la masse des hommes et des femmes
travailleurs, des jeunes et des vieux, qui peut la trancher et non pas cette
petite portion du peuple qui s’abrite, comme on dit, dans les basques du roi »[1].
En honneur à cette femme et au combat des gilets jaunes, j’ai
republié l’analyse de Rosa Luxemburg sur la grève générale en Belgique, untexte à (re)lire absolument !
[1] Publié
dans Vorwärts, le 22 février Traduction dans Rosa Luxemburg, Textes, Édition
réalisée par Badia Gilbert, Éditions Sociales, 1969, pp. 163-76
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