La visite du pape en Irak, ou la mémoire défaillante de François
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Le pape François dans les ruines de Mossoul, en Irak, ce 7 mars - © VINCENZO PINTO - AFP (site RTBf) |
Le pape François, lors de sa visite en Irak, s’est employé à dénoncer la situation dans le pays et a fait appel à la cessation des violences et à l’unité des différentes confessions. Soit. Qui ne le souhaiterait pas ? Le problème est qu’il a réduit la question des violences et des intolérances à la question du terrorisme. La plupart des journalistes lui ont allègrement emboîté le pas.
Mais
personne ne s’est souvenu des paroles d’un autre pape, pas spécialement connu
pour son progressisme mais plutôt pour sa part active dans le combat
anticommuniste, le pape polonais Jean-Paul II , qui déclarait à l’occasion de
Noël, en 1990 : « Que les
responsables en soient convaincus, la guerre est une aventure sans retour ! ».
Jean-Paul II a dénoncé, lui, la guerre qui se préparait contre l’Irak, et alors
que le premier déluge de bombes s’abattait sur Bagdad, le 17 janvier 1991, « dans son discours depuis le Vatican,
Jean-Paul II dénonce avec force que «la loi des plus forts soit brutalement
imposée aux plus faibles». «Les vrais amis de la paix savent que l'heure est
plus que jamais au dialogue, à la négociation, à la prééminence de la loi
internationale. Oui, la paix est encore possible ; la guerre serait le déclin
de l'humanité tout entière» plaide encore le Souverain pontife »[1].
Je n’ai pas
vraiment l’habitude de me référer à l’organe de presse du Vatican, mais il
semble que l’actuel pape ne la lit pas régulièrement. D’où le rappel. Je lui
conseille de lire ce bilan du Vatican « 30 ans après la guerre du Golfe,
la diplomatie de paix du Saint-Siège résonne encore », qui rappelle les
nombreuses initiatives de l’époque, y compris une lettre personnelle à George
Bush père, pour tenter d’empêcher la guerre.
Le pape
actuel bénéficie cependant de circonstances atténuantes, car comme le rappelle Jacques
Decornoy dans le Monde Diplomatique d’août
1991, à l’occasion de la sortie du livre
« Le Pape contre la guerre du Golfe. Jean-Paul II censuré », « à de rares exceptions près, les
interventions — plusieurs dizaines — de Jean-Paul II contre la guerre du Golfe
ont été étouffées, en France notamment, par les médias : il fallait faire taire
les interrogations, les réflexions, ces grains de sable dans la machine à
bourrer les crânes[2].
François a
raté l’occasion d’expliquer à ses fidèles et au monde entier que le terrorisme
qui sévit en Irak, comme dans le reste du Moyen-Orient, en Afrique ou en Europe,
ne constitue pas la source des violences, mais est le produit des violences, et
plus précisément des guerres de l’Occident, sous direction états-unienne.
Et la mère de toutes les guerres qui se sont déroulées depuis la disparition du bloc soviétique, c’est précisément la première guerre du Golfe, déclenchée le 16 janvier 1991, contre l’Irak et le peuple irakien. Jusqu’en 1989, la course aux armements était justifiée du côté occidental par la nécessité de se protéger d’une agression de la part de l’Union soviétique. Celle-ci disparue, les peuples étaient en droit d’attendre le désarmement et la paix. Et c’est d’ailleurs ce que tous espéraient. Les services américains se sont donc affairés à conditionner l’opinion publique par une série de mensonges, dont le plus décisif fut celui dit « des bébés dans les couveuses koweïtiennes ». Le 14 octobre 1990, une soi-disant jeune infirmière koweïtienne pleure devant une commission du Congrès des États-Unis en prétendant que les troupes irakiennes ont laissé mourir sur le sol froid des bébés sortis de leurs couveuses. La retransmission bien orchestrée de l'événement dans le monde entier emportera les esprits dans la logique de la guerre. En réalité, ladite infirmière était tout simplement la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, qui lisait un texte tout préparé.
Le nouvel ordre international: le capitalisme, c'est la guerre
Cette
première guerre contre l’Irak a été le tournant décisif vers un nouvel ordre
mondial, sous l’égide des États-Unis, dans lequel toutes les crises sont
résolues par le recours à la guerre, sans plus aucun recours aux interventions
classiques de l’Organisation des Nations Unies.
Dans un
livre extrêmement documenté, » Le capitalisme c’est la guerre », Nils
Andersson établit le constat suivant, auquel je souscris totalement : « Depuis 1990, et l’annonce par Bush père d’un
‘monde de paix’, on décompte entre trente-cinq et cinquante conflits armés
actifs chaque année. Si, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe
occidentale a connu une longue ‘période de paix ‘, dont on s’autosatisfait,
c’est oublier que le Tiers-Monde n’a, lui, cessé de connaître la guerre. Des guerres
dans lesquelles la responsabilité des États occidentaux est directement engagée
du fait de leurs politiques interventionnistes »[3].
Toutes les
guerres lancées par les États-Unis, malgré leur écrasante supériorité
militaire, économique, technologique et politique, et quel que soit le nombre
de pays entraînés à leur suite, ont abouti sur des échecs militaires et
politiques. Aucune de ces guerres, que ce soient en Irak, en Afghanistan, en
Syrie ou en Libye, n’ont atteint les soi-disant objectifs de paix et de
démocratie annoncés à grand renfort de propagande mensongère. Les seuls résultats
sont le démantèlement des États et des nations agressés, la destruction de
leurs infrastructures essentielles, savamment visées par les bombes dites
intelligentes, des millions de morts, de blessés, de déplacés, des peuples
affamés, épuisés et divisés, des réfugiés désespérés en nombre toujours
croissant, la destruction à grande échelle et à long terme de l’environnement.
Et pour renouer avec les paroles du pape François (et des médias qui n’ont pas
appris grand-chose depuis le coup de couveuses), ce sont CES ravages qui ont
fourni le terreau du terrorisme.
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