Honneur à Londres aux mamans courage de Belgique

Je tiens à vous remercier pour cette invitation qui me donne
l'occasion de témoigner du courage extraordinaire d'un groupe de femmes belges.
Comme je l'ai dit aux organisateurs, je ne suis pas spécialiste du genre mais
j'ai eu l’immense chance de rencontrer des femmes très spéciales, qui ont
affronté les pires difficultés de notre temps, la lutte contre le terrorisme.
Elles ont fait face à des situations terribles parce qu'elles
sont mères. L'amour de leur enfant leur a donné la force d’affronter la discrimination,
la violence policière, la haine médiatique, l’isolement, la suspicion, les lois
antiterroristes et la justice.
En avril 2013, un professeur me téléphone. Elle est en
larmes parce qu'un de ses élèves, âgé de 15 ans, n’est pas retourné à l'école
après les vacances de Pâques. Il est parti pour la Syrie, avec un ami âgé de 16
ans. Leurs deux mamans cherchent de l'aide et cette enseignante
nous met en contact…
Cinq années de combats ininterrompus
Ce fut le début d'une
longue lutte, rejointe par de nombreuses mamans. Une longue lutte contre les
autorités, l'opinion publique, la justice, les médias ...
J'ai été tellement impressionnée par la force de leurs mots
et j'ai tellement appris sur la réalité de ces familles que j'ai suggéré aux mamans
d'organiser un atelier d'écriture.
Les mamans étaient étonnées, elles ne croyaient pas pouvoir
écrire un livre mais, en même temps, elles étaient enthousiastes et, surtout,
fermement décidées à défendre leur enfant, leurs enfants.
Je n'avais absolument aucune idée sur la façon de faire.
Lors de la première rencontre, j'ai tout de suite compris qu'il était
totalement impossible de demander aux femmes d'écrire, là, dans l'environnement
immédiat du groupe.
Elles avaient terriblement besoin de parler. Elles avaient
besoin de pleurer, de rire, de manger toutes sortes de pâtisseries, de se
préparer un bon repas et de le partager. Elles avaient besoin de se poser mutuellement
des questions, de comprendre et d'être comprises.
J'ai décidé de prendre quelques notes, d'écrire certains de
leurs mots. Après la réunion, j'ai tapé mes notes et je les ai renvoyées à
chaque mère individuellement, pour lui restituer ce qu'elle avait dit dans le
feu de la conversation.
À chacune séparément, parce qu'elles ont immédiatement
décidé, d'un commun accord et spontanément, de ne pas partager leur travail
tant que leur livre ne serait pas complètement terminé et publié.
Pourquoi? Je suppose qu'elles étaient trop timides, trop
incertaines de leur propre capacité à écrire. Six des mamans ont commencé à
écrire. À chaque réunion avec tout le groupe, certaines me donnaient quelques
feuillets, arrachés d'un cahier d'écolier. Tout était écrit à la main.
J'ai commencé à taper le premier livre, le livre de Samira.
Je n'ai fait aucun commentaire sur son travail, je n'ai donné aucun conseil,
j'ai juste tapé et corrigé des fautes d'orthographe. Et je lui ai juste dit :
« Continue, c'est tellement beau, tu fais un superbe travail pour ta fille ».
« Vraiment ? - Oui, Samira, vraiment, c'est vraiment magnifique ».
Et ce l’était. Et je savais que la moindre critique aurait
pu l'arrêter car, de l'école primaire à la vie active, les travailleurs sont
déclarés incapables d'écrire. Écrire des livres, c’est quelque chose pour
l'élite...
Dès le début de notre atelier, j'ai expliqué aux femmes que
nous n'avions qu'une très petite maison d'édition ; elles devraient financer
les frais d'impression et vendre le livre dans leurs propres réseaux pour
récupérer l'argent. J'ai souligné le fait qu'il est très difficile de vendre
des livres si vous n'avez pas le soutien d'une grande maison d'édition. Mais,
d'un autre côté, au moins, vous avez la liberté de dire ce que vous voulez
vraiment dire et de décider comment l'exprimer.
Deux livres pour comprendre et rester humain
Le premier atelier a eu lieu en avril 2015 et le livre de
Samira «Le bonheur est parti avec toi»
a été publié le 9 novembre de la même année. Nous étions si heureuses. Nous
avons fixé une réunion pour le week-end suivant, afin de célébrer ensemble la
naissance de notre premier livre. Je dis «notre» livre parce que tout le groupe
de mamans considérait chaque livre comme un livre provenant du groupe des mamans
entières, même si le travail était totalement individuel.
Ce que nous ne savions pas, en ce moment, c'est que le fils
d'une autre maman, Fatima, également membre de notre groupe, s'était fait
exploser devant le Stade de France.
Fatima l'a appris dans la presse, le lendemain de notre
rencontre. Et elle a décidé de recommencer le livre qu'elle était en train
d'écrire à l’époque. Son livre « À travers mes souvenirs et mes larmes, lettre
à mon fils » a été publié en septembre 2017.
Je pourrais parler longuement sur cet atelier, la vente des
livres, les nombreuses réactions, la fierté mutuelle des femmes quant à leur
travail. Je voudrais plutôt vous lire des extraits significatifs de chaque
livre afin que vous puissiez comprendre comment les femmes ont été traitées et
ce qu'elles vivent depuis cinq ans.
Fatima a écrit : « J’ai
toujours respecté la police car elle a pour fonction de nous protéger. Mais
depuis ce jour du 5 mars 2015, je les ai vus autrement, comme terroristes. Ils
ont fait entrer chez moi la terreur, avec leurs grosses bottes, les pistolets,
leurs mitraillettes courtes, sans oublier leur violence physique et verbale.
À la télévision, dans
des reportages, j’ai entendu plusieurs fois des personnes dire que nous sommes
des parents démissionnaires et que nous ne vous donnions pas beaucoup d’amour.
C’est d’autant plus dur d’entendre cela que c’est si loin de la réalité ! Je
sais que je ne suis pas parfaite, que j’ai fait des erreurs et que j’en fais
pas mal encore ; personne n’est parfait.
Quelques jours après
ton enterrement, il y a eu un attentat à l’aéroport de Zaventem et au métro
Maelbeek. Ces deux attentats-suicides ont fait 32 morts et des dizaines de
blessés. La Belgique a ainsi aussi été frappée par le drame. Ce que je ne
parviens pas à m’expliquer, c’est pourquoi je me suis sentie aussi coupable
pour ces 32 victimes. Et mes pensées sont aussi allées vers les familles des
kamikazes. Je me suis dit : « Mon Dieu, sur quelles familles ça va tomber ? ».
Ils vont apprendre la mort de leurs enfants par la presse, sans compter le
harcèlement des journalistes, les perquisitions et les auditions par les
fédéraux. Et le pompon, le jugement et la condamnation par les gens et par la
famille…
Samira a écrit : « La police me dit que je serai toujours liée au terrorisme à cause de ma
fille. Je le dis et le redis : nous ne sommes pas terroristes, ni moi, ni ma
fille, qui n’est partie rejoindre aucun mouvement ni quoi que ce soit d’autre.
On l’a recrutée avec de belles paroles et l’amour qu’elle portait à T. a fait
le reste. La police a laissé faire bien qu’elle était au courant du danger
encouru par ma fille et nos enfants depuis longtemps. Alors qu’elle arrête de
m’associer au terrorisme auquel je n’adhère pas. Mes enfants et moi sommes
victimes de cette situation. Nous sommes des citoyens comme les autres. Il faut
que la justice change sa façon de voir les parents, les frères et les sœurs qui
doivent être considérés comme des victimes d’une situation qu’ils n’ont jamais
souhaitée.
Ma fille, ma Nora. Ton
endoctrinement s’est fait si vite. Je ne cesse de penser à tout ça. Je ne me
suis pas rendu compte qu’en ce moment fragile, tu avais besoin de moi et je
n’ai pas reconnu les signes qu’eux ont su détecter. Pourquoi je n’ai rien vu ou
rien voulu voir ? Pourquoi ?Je m’en voudrai toute ma vie et jamais je ne me
pardonnerai, jamais. »
Je veux juste maintenant souligner la signification
politique de ces livres.
Tout d'abord, si vous voulez comprendre un phénomène social
et politique comme le terrorisme, vous ne pouvez pas le faire sans saisir
l'aspect humain de ce phénomène. Vous devez le vivre de l'intérieur, pour
apprendre des personnes directement concernéss. J'ai beaucoup appris grâce à
ces mamans.
Dès le début, et déjà bien avant la naissance de Daech, ces
femmes ont voulu aider à empêcher les départs de jeunes pour la Syrie. Mais
personne n'était intéressé ... jusqu'aux attentats de Paris et plus tard à
Bruxelles.
Tant que les jeunes se battaient et mouraient en Syrie,
personne ne s'en souciait, sauf les parents, et surtout les mères. Elles ont
frappé à toutes les portes, sans résultat. La police et les autorités étaient
au courant des départs, ils connaissaient les recruteurs, ils écoutaient les
conversations téléphoniques des jeunes avant de partir ...
Au lieu d'aider les mères, elles ont cassé leurs portes au
milieu de la nuit, elles les ont mises par terre et les ont menottées, et elles
ont pris leurs photos et notes personnelles. En un mot, police et autorités ont
traité les mères comme des terroristes. C'est leur véritable expérience.
Et ce genre de traitement n'élimine pas le terrorisme, il le
renforce, car d'autres jeunes ont entendu parler de ces situations et leur
colère contre le système grandit à chaque fois.
Maintenant que les attentats ont frappé nos villes, les
autorités dépensent des fortunes dans les soi-disant campagnes de
déradicalisation et pratiquement n'importe qui peut se déclarer expert en la
matière.
Jusqu'à présent, personne n’a déclaré ces mères expertes ;
peut-être parce que ce sont de simples femmes qui travaillent, sans diplôme
universitaire. Peut-être parce qu'elles sont contre le racisme et l'injustice,
contre la discrimination sociale, économique et ethnique - peut-être parce qu'elles
sont contre la guerre, peut-être parce qu'elles soutiennent le peuple
palestinien ... Je vous laisse juges.
Toute cette histoire est-elle liée au genre? Comme je l'ai
dit, je ne suis pas une spécialiste. Ce que je peux dire, c'est que le courage
des femmes pour défendre leurs enfants est inépuisable. Depuis avril 2013,
beaucoup de leurs enfants sont morts ou ont disparu en Syrie. Beaucoup de mères
sont devenues grand-mères quand leurs enfants étaient en Syrie, mais elles
n'ont aucun contact avec leurs petits-enfants. En tant que mère et grand-mère,
je ne sais pas si j'aurais le même courage que ces femmes qui tombent et se relèvent
à chaque fois. Mais ce dont je suis sûre, c'est que nos dirigeants n'aiment pas
les femmes qui se battent pour l'avenir de tous les enfants. Est-ce lié au
genre? Peut-être ou peut-être pas.
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