Les possibilités d’établir une alliance globale pour soutenir la cause des peuples opprimés[1].
Les organisateurs de ce congrès m’ont demandé de parler sur
les alliances possibles dans le monde d’aujourd’hui. Je suis très heureuse de
pouvoir aborder ce sujet avec vous parce que cette question est essentielle
dans le contexte international difficile que nous connaissons aujourd’hui.
Je tiens d’abord à préciser à partir de quelle expérience
personnelle et de quelle idéologie j’avance mes points de vue. Dans la
confusion politique qui domine aujourd’hui, si on veut aborder la question des
alliances, il est important de savoir et de comprendre à partir de quelle
réalité chacun d’entre nous, chaque organisation, parti ou mouvement formule
ses opinions sur le monde.
Je suis une militante communiste depuis 1970; mon expérience
politique s’est développée en Belgique, siège des institutions européennes et
de l’OTAN, membre de l’alliance qui combat en Afghanistan, ancienne métropole
coloniale en Afrique. La Belgique est un des plus vieux pays industrialisés, un
des pays les plus productifs et les plus riches au monde et où la protection
sociale des travailleurs est parmi les plus développées du monde riche.
Si on veut réaliser des alliances, il est essentiel de
chercher à comprendre la réalité précise dans laquelle les opinions des uns et
des autres se construisent. Parce que si nous voulons arriver à un combat
commun, à un résultat commun, il faut savoir et surtout accepter que nous
n’emprunterons pas les mêmes chemins parce que nous ne partons pas du tout du
même endroit.
Pour arriver à A, le chemin partant de B sera B-A et le
chemin partant de C sera C-A.
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La "fracture sociale" au Brésil, à gauche les favellas, à droite les immeubles des riches |
La façon dont une mère palestinienne de Gaza, une paysanne
sans terre du Brésil, une intouchable de Calcutta ou une habitante des
bidonvilles de Kinshasa construira sa vision du monde sera forcément tout à
fait différente de la mienne. Et pourtant le défi à relever est que nous
puissions nous rassembler en un mouvement commun contre l’impérialisme. Je vais
donc parler à partir de mon expérience, qui est celle de la gauche des pays
impérialistes, et balayer devant ma propre porte.
Les alliances
Pour pouvoir créer des alliances, pour reconnaître des
alliés potentiels, il faut pouvoir se mettre d’accord sur l’adversaire. Vu du
tiers monde, je pense que c’est très simple. Le premier problème est
l’impérialisme américain et, à sa suite, le suivisme européen et la complicité
des régimes corrompus dans le tiers monde même. Chacun sait que les réactions
en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou au Moyen Orient ont été totalement
différentes face aux attentats du 11 septembre que celles qu’on a connues en
Europe, au Japon ou aux Etats-Unis.
Les stratèges américains, que l’on adhère ou non à la
théorie du complot sur les attentats du WTC, ont pu largement utiliser cet
événement pour convaincre une partie de l’opinion publique et une grande part
des gouvernements européens qu’ils ont intérêt à se placer derrière le bouclier
américain.
Cependant, l’enthousiasme à suivre les stratèges américains s’est
déjà considérablement refroidi entre le premier élan contre l’Afghanistan des
Talibans et le second contre l’Irak de Saddam Hussein.
Les travailleurs et les peuples de l’Union européenne n’ont
en réalité aucun intérêt à soutenir la politique militaire américaine dans
aucune région du monde ; ils n’ont aucun intérêt à attirer sur eux la même
colère que les agressions militaires et l’arrogance politique américaines
suscite à juste titre dans les peuples du tiers monde. Pour se protéger des
attentats terroristes, la mesure antiterroriste la plus efficace et la plus
facile à réaliser est de retirer ses troupes sans contre-partie et sans délai
de toutes les régions du monde que les USA ont mis à feu et à sang.
Le problème est qu’à chaque attentat réellement exécuté ou
seulement supposé, même la gauche se sent avant tout obligée de condamner le
terrorisme, d’approuver la nécessité de le combattre par tous les moyens, de
préférence démocratiques, mais ne pose jamais comme première mesure la
cessation des interventions étrangères, où qu’elles soient. Il appartient aux
peuples concernés de faire et défaire leurs gouvernements, et non à des nations
étrangères. C’est un principe élémentaire de relations entre les peuples qu’il
faut restaurer si les peuples veulent vivre en paix.
Une deuxième raison fondamentale qui doit pousser
travailleurs et peuples européens à renouer avec une certaine tradition
anti-impérialisme et anticolonialiste est le modèle économique, social et
politique que les USA exportent sur le continent, généralement avec une étape
expérimentale en Grande-Bretagne. Les privatisations, la destruction
progressive des formes avancées de la protection sociale, le démantèlement des
services publics, la déstructuration et la dérégulation radicale des formes
collectives du travail et l’affaiblissement du pouvoir syndical et politique
des travailleurs qui s’ensuit, la restriction des droits démocratiques de
s’exprimer et de s’organiser pour combattre ce système, l’individualisation
forcenée des modes de production et de consommation, en bref, le « tout pour le
marché, tout par le marché », qui n’est que le slogan trompeur des oligarchies
financières et des multinationales, tout cela est « Made in USA » et nous
conduit vers la barbarie. C’est contre cette barbarie qu’explosent aujourd’hui
les révoltes de la faim dans le monde.
Mais nous connaissons aussi les conséquences de ces
politiques au sein des USA même, et, quoique sous une forme encore adoucie sur
le continent européen, : explosion des inégalités sociales (chiffres),
explosion de la violence intérieure et des prisons, désintérêt de plus en plus
grand des citoyens pour la chose politique.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, je suis convaincue
qu’il n’y a pas d’autre stratégie possible pour la gauche européenne si elle
veut que les classes ouvrières et les peuples du vieux continent contribuent
une nouvelle fois au progrès politique, économique et social et à une paix
juste dans le monde.
C’est l’orientation que j’ai proposée en 2002 au parti que
je dirigeais à l’époque à l’occasion d’un congrès. La perspective que je
proposais au parti était de travailler pendant les cinq années suivantes à
l’établissement d’un front révolutionnaire, au niveau de l’Union européenne
contre la guerre initiée par les Etats-Unis et pour la défense du socialisme.
La question centrale, celle de la guerre, était la base sur laquelle selon moi
ce front était possible. Parce que, même si elle prend des formes extrêmement
différentes en moyens, en intensité et en conséquences, c’est la même guerre
qui se mènent contre les peuples du tiers monde et contre les travailleurs dans
les métropoles impérialistes. Ce sont les mêmes intérêts qui sont en jeu ici et
là, à savoir, fondamentalement, la pérennité d’existence de la poignée
d’hyper-riches de cette planète. La nécessité de ce travail difficile et de
longue haleine, entamé début 2002, a été confirmée par la deuxième guerre
contre l’Irak, qui a débuté le 20 mars 2003 et qui n’est aujourd’hui pas près
de finir.
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Robaerto D'Orazion, dirigeant syndical des Forges de Clabecq, Zohra Otman, avocate du PTB et Dyab Abou Jahjah, dirigeant de la Ligue Arabe Européenne (AEL) |
Cette orientation a donné naissance à un front électoral qui
réunissait pour la première fois, probablement dans le monde, un parti
communiste et une organisation arabe nationaliste et antiracise, issue de
l’immigration et comprenant de nombreux jeunes, notamment musulmans. Ce front
réunissait dans ses porte-parole une femme médecin belge présente à Bagdad au
début de l’invasion américaine de mars 2003, une déléguée syndicale flamande
issue de la lutte contre la faillite de notre compagnie aérienne, la Sabena, et
un représentant belgo-libanais de la Ligue Arabe européenne. Si cette
expérience a connu un succès réel dans la jeunesse de l’immigration, le
résultat électoral fut mauvais et c’est ce résultat qui a mis fin à
l’expérience.

Cette expérience, pour limitée qu’elle soit, est
représentative de la scission qui est en train de se produire au sein de la
gauche entre une aile qui conçoit son travail essentiellement à partir de la
protection des acquis sociaux et démocratiques du mouvement ouvrier européen et
une aile qui conçoit essentiellement l’action politique à partir de la lutte
mondiale contre la superpuissance américaine et plus généralement
l’impérialisme sous toutes ses formes.
Les tenants de ce deuxième courant sont aujourd’hui
totalement minoritaires sur le continent européen et sans aucun doute au sein
des Etats Unis d’Amérique. Mais mon optimisme est soutenu par l’existence
d’analyses similaires et de mêmes courants en dehors des métropoles
impérialistes.
A titre
d’exemple, je citerai le journaliste militant jordanien, Hisham Bustani : « Il n’est que logique qu’actuellement la
gauche arabe est une entité faible, divisée entre deux camps :
(1) le
camp communiste classique qui continue à suivre la ligne politique des ses
prédécesseurs, avec des ajoutes ’libérales’ : il propose la solution des deux
états en Palestine ; il a beaucoup de confiance dans les « processus
démocratiques » imposés par les impérialistes, comme celui en Irak après
l’occupation. Il rejoint les agendas des ONG et accepte leur financement. Il se
bat pour sa propre survie politique plutôt que pour un programme et une idéologie
politique. Cette ligne est profondément ancrée dans les organisations
historiques (comme les Partis communistes et structures similaires) ;
(2) Un
camp critique néo-marxiste qui, bien que présent et actif, est inorganisé et
divisé, dû au fait qu’il est composé d’individus qui ont quitté les structures
classiques officiels sans trouver ou construire une alternative.
Personnellement, je préfère le terme «
Gauche Unitaire » au terme « Gauche Nationaliste »
La nouvelle gauche critique a des points de
vue clairs sur :
1. La
Palestine – le cœur du mouvement de libération arabe et pas simplement un
conflit Palestiniens-Israéliens. C’est une lutte sans compromis entre le projet
de libération arabe et le projet impérialiste sioniste. Il ne peut pas être
résolu par des « processus politiques ». il ne peut pas être résolu en
maintenant une entité sioniste sur quelque partie de la terre arabe que ce
soit;
2. Irak
– aucune reconnaissance de l’occupation US ou d’un processus politique qui
découle de cette occupation
3. La
Résistance – soutien inconditionnel à toutes les formes de résistances, la
résistance armée comprise
4. L’unité
de la lutte arabe – l’impossibilité de la libération au niveau de l’état arabe
actuel qui est faible et une fabrication coloniale soumise
5. La
nécessité de former des fronts anti-impérialistes basée sur des stratégies
politiques claires avec des forces qui partagent cette approche mais qui ne
sont pas spécialement de gauche (comme les islamistes, nationalistes etc.) A
travers une polarisation entre ces deux camps – un effort qui devait être
global sur base d’une clarté politique- une nouvelle gauche radicale,
militante, claire et révolutionnaire peut voir le jour, et devenir à nouveau un
acteur clé dans le processus de libération dans la région arabe et dans le
monde ».
La première des alliances à faire est là, entre les gauches
radicalement anti-impérialistes du monde entier. Il est urgent que ces gauches
d’un genre nouveau apprennent à se connaître, se soutiennent mutuellement,
échangent des opinions et des expériences et établissent des liens sérieux.
Pourquoi sommes-nous minoritaires ?
Si cette gauche d’un nouveau genre est minoritaire, c’est
aussi toute la gauche qui est minoritaire aujourd’hui et elle en porte une
grande part de responsabilité. Je voudrais aborder quatre raisons qui me
semblent essentielles pour expliquer la faiblesse actuelle de la gauche.
Le manque de projet de société
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Thatcher et Reagan, au golf, bien sûr... |
Quand la droite libérale était politiquement et idéologiquement minoritaire, au sortir de la seconde guerre mondiale, elle a préparé son come back patiemment pendant trente ans, en s’organisant essentiellement dans des think tank qui ont obtenu leurs premières victoires politiques avec l’élection de Reagan aux USA en 1980 et de Thatcher en Grande-Bretagne en 1979. A propos du marché libre versus la socialisation des moyens de production et la répartition des richesses, la dame de fer ressassa à l’infini le fameux « TINA », « there is no alternative ».
La gauche parle et agit aujourd’hui comme une éponge imprégnée de cette pensée thatchérienne. Qu’elle soit social-démocrate ou communiste, elle se laisse culpabiliser sur son bilan politique, économique et social. Si elle veut sortir de sa position minoritaire impuissante, la gauche doit cesser de dire qu’elle a tout raté au vingtième siècle, tout en reconnaissant rationnellement les erreurs réelles qu’elle a commises. Elle doit défendre les acquis des communistes et de la social-démocratie dans les pays riches, le rôle essentiel joué par le camp socialiste tant pour le rapport de forces entre capital et monde ouvrier dans les métropoles impérialistes que dans les luttes pour la décolonisation. Cela ne l’empêche nullement de tirer toutes les leçons des erreurs, parfois monstrueuses commises. Mais ce n’est pas en disant à l’adversaire, excusez-nous de nous être battus pour la justice sociale, la démocratie politique et la paix qu’on fera avancer la cause des peuples au vingt et unième siècle.
La capitulation face à la vague islamophobe
Il existe un lien direct entre le manque de projet de
société de la gauche et la peur de l’islam. La gauche a d’autant plus peur des
courants islamistes politiques, qui lient leur résistance à un projet de
société religieux global qu’elle n’a elle-même plus de projet de société
global. Elle a peur de se faire avaler par le projet religieux et elle a raison
parce que les masses suivront nécessairement ceux qui résistent le mieux. Or,
toute l’histoire l’a prouvé, on résiste mieux quand on a une perspective à long
terme que quand on n’en a pas. Au lieu de trembler devant la montée des
sentiments religieux, la gauche ferait mieux de développer un projet de société
mondial dans lesquels les masses croyantes, qui constituent l’immense majorité
des populations, ont une place à part entière et ne sont plus traitées comme
des barbares arriérées incapables de progressisme.
L’hystérie laïque à partir de quelques foulards, dont la
France nous a donné un triste exemple, et qui a profondément divisé la gauche,
n’est que la pointe de l’iceberg que nous devrons faire fondre si nous voulons
que la gauche survive. Avec une douzaine de démocrates et de progressistes
belges, j’ai réalisé avec Marc Jacquemain, professeur de sociologie, un livre
collectif intitulé « Du bon usage de la laïcité » ; il vient de sortir et
j’espère qu’il contribuera à faire fondre la glace.
L’épouvantail communautariste
Dans l’ensemble des changements intervenus dans l’organisation
du travail dans les pays capitalistes, un des plus importants est la situation
de cette partie du prolétariat issu de l’immigration, que ce soit à la
première, la deuxième ou la troisième génération. Les premières vagues
d’immigration ont directement été intégrées dans les grands complexes
industriels en plein développement au dix-neuvième et au vingtième siècle (
mines, sidérurgie, constructions métalliques) ainsi que dans les grands travaux
publics. Rappelons d’ailleurs que toute l’histoire de l’industrialisation est
liée à l’émigration des paysans vers l’industrie, de la campagne vers la ville,
même si, au départ, il s’agissait de migrations internes aux pays en voie
d’industrialisation. Le même processus a lieu aujourd’hui en Chine ou en Inde.
Mais dans les plus vieilles nations industrielles, cette
immigration est liée étroitement à l’histoire de la colonisation ; c’est le cas
pour la France et la Grande-Bretagne, ce l’est moins pour des nations ayant «
disposé » de moins de colonies, comme l’Allemagne ou la Belgique.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, avec l’érosion, voire la
disparition totale des grands complexes industriels et la réorientation de
l’économie occidentale vers d’une part la « société de l’information », d’autre
part la société des services, la situation de l’immigration a fortement évolué.
D’un côté, il y a l’immigration bienvenue, c’est-à-dire l’immigration diplômée,
qualifiée, qui peut contribuer au développement de la société de l’information.
C’est une catastrophe pour les pays du Tiers Monde, car c’est l’aspiration de
leurs cerveaux vers l’Occident et par conséquent un frein sérieux à leur propre
développement. D’autre part, il y a l’immigration non ou peu qualifiée destinée
à alimenter en main d’œuvre la société des services au sens large : services
aux personnes, hôtellerie, tourisme, bâtiment, agriculture. Ainsi se réalisent
les prévisions d’un social-démocrate allemand, Hildebrand, en 1910 ( !!) et
cité dans Lénine dans « Impérialisme, stade suprême du capitalisme » : « L’Europe
se déchargera du travail manuel – d’abord du travail de la terre et des mines,
et puis du travail industriel le plus grossier – sur les hommes de couleur et
s’en tiendra, en ce qui la concerne, au rôle de rentier ».
Cette Europe de rentiers a besoin d’un sous-prolétariat non
qualifié ou, quand il l’est, prêt à accomplir des tâches n’exigeant que peu de
qualification, pour un salaire de misère et dans les conditions de la précarité
voire de la clandestinité. La production industrielle peut se faire ailleurs,
en Chine ou en Inde, par « les hommes de couleur » du moment que ceux-ci
accomplissent dans les métropoles les tâches permettant aux riches et aux
classes moyennes de vivre dans la facilité.
L’immigration moderne dans les métropoles impérialistes est
dévolue aux tâches domestiques, au sens large. Elle entretient les bureaux et
les usines quand les employés et les ouvriers ne sont plus au travail, elle
entretient les ménages et les quartiers quand les travailleurs « de souche » ne
peuvent ou ne veulent plus le faire pour ces salaires-là.
Cette division du travail, je la vois directement dans les
classes où j’enseigne le français à des adultes pour la plupart récemment
immigrés : aux femmes africaines non qualifiées le travail ménager à domicile,
rejointes aujourd’hui par des femmes plus qualifiées de l’Europe de l’Est, aux
hommes marocains le travail sur les chantiers de construction ou de rénovation,
le transport par camion des marchandises ou l’accueil des touristes dans les
hôtels.
Cette division internationale du travail est une cause
profonde de la division du monde du travail. Cette division est alimentée par
des campagnes racistes, faites de paroles et d’actes.
Mais dès que cette partie du prolétariat, reléguée
objectivement au rang de serviteurs et souvent traitée comme telle, tend à se
rebeller, la gauche s’écarte peureusement par crainte du « communautarisme ».
L’attitude de la gauche à l’égard des révoltes des banlieues en France ou de la
criminalisation des organisations radicales issues de l’immigration, comme nous
la connaissons aujourd’hui en Belgique avec le procès contre l’AEL, est typique
à cet égard. Si la révolte des jeunes des deuxièmes et troisièmes générations
de l’immigration est communautariste, alors les femmes ouvrières en grève pour
l’égalité des salaires, les ouvriers masculins luttant pour le suffrage
universel des hommes, puis les suffragettes luttant pour celui des femmes, tout
cela était aussi des luttes communautaristes, car il s’agissait de communautés
de travailleurs ou de travailleuses, conscient(e)s d’une discrimination
spécifique et luttant pour l’égalité des traitements.
La culpabilisation sur le génocide nazi
Dans un congrès consacré à la résistance palestinienne, il
faut encore évoquer la culpabilisation permanente de la gauche sur le génocide
nazi. Comme cela a déjà été évoqué par d’autres orateurs, je voudrais dire une
seule chose.

C’est précisément parce que nous appartenons à cette
tradition que nous soutenons la résistance du peuple palestinien.
En conclusion, si la gauche cesse de se laisser intimider
par la droite (et c’est exprès que je ne mentionne pas l’extrême droite – qui
n’est pas, quoi qu’on en pense, le danger principal en Europe aujourd’hui), si
la gauche cesse de capituler constamment face à son idéologie et ses théories
politiques et économiques, elle a un grand avenir devant elle. Mais pour cela,
il faudra un minimum de courage et ne pas craindre la diabolisation voire la
criminalisation.
Ce courage, nous pouvons le trouver en regardant le monde
d’aujourd’hui, en mutations constantes.
Les opportunités pour affaiblir la toute puissance
américaine sont tout autour de nous et c’est à nous de les saisir. Nous devons
adopter une stratégie qui prenne le monde entier comme point de départ et non
pas seulement nos propres conditions d’existence.
Les pays émergents : Chine, Inde, Brésil, Russie
Nous assistons aujourd’hui à l’émergence extrêmement rapide
de nouvelles puissances économiques et politiques qui offrent une alternative à
la puissance économique américaine. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse
avoir dans la gauche sur les régimes en place en Chine, en Inde, au Brésil ou
en Russie, ces nations économiquement émergentes regroupent la plus grande part
de la population mondiale et assureront dans les années à venir la plus grande
part de la production industrielle mondiale.
Ces nouvelles puissances sont d’ores et déjà le pôle vers
lequel se tournent les nations les plus pauvres du tiers monde pour échapper au
joug des multinationales américaines et européennes. Cette nouvelle tendance
permettrait à l’Union européenne de se détacher du bouclier américain et ’oser
de nouvelles alliances.
La gauche européenne ne peut pas laisser passer cette
opportunité de rompre avec l’axe atlantique et d’établir de nouvelles relations
avec les nations et les peuples du tiers monde. Mais elle doit pour cela
reconnaître inconditionnellement le droit des nations à l’indépendance, à leur
conception de la démocratie et surtout au développement, même quand celui-ci
emprunte des voies qui nous rappellent les pires moments de l’industrialisation
en Europe. Il faut cesser de faire la leçon aux peuples qui ont faim et soif
d’eau potable, qui vivent sans électricité, sans écoles et sans hôpitaux ; ce
qu’ils attendent de nous, ce ne sont pas nos leçons sur le travail des enfants
mais des revendications radicales à l’égard de nos propres gouvernements, comme
l’annulation immédiate et sans condition de la dette ou la fin des
interventions militaires ou dites humanitaires.
Les résistances dans les nations en développement
Embourbée dans son occupation militaire de l’Irak, incapable
de mettre fin à la résistance palestinienne, préoccupée par les positions
antisionistes et anti-impérialistes de la Syrie ou de l’Iran, l’administration
américaine est actuellement incapable de s’occuper de son arrière-cour
traditionnelle, le continent latino-américain. Non seulement Cuba reste debout,
Fidel Castro ou non à la barre, mais les peuples utilisent les élections pour
mettre au pouvoir les formations politiques les plus à gauche dans leur pays.
C’est naturellement autour du Venezuela de Chavez, fidèle allié de Cuba, que se
regroupent les forces les plus anti-impérialistes du continent.
La force de Chavez ne réside pas seulement dans l’attraction qu’il exerce sur les masses pauvres de l’Amérique latine mais dans sa capacité à proposer de nouvelles alliances aux peuples du monde entier : « Le président des Etats Unis a dit hier, dans cette même salle, la chose suivante, je cite : "Partout où vous regardez, on entend des extrémistes qui vous disent que vous pouvez échapper à la misère et récupérer votre dignité par la violence, la terreur et le martyre".(...) Non, ce n'est pas que nous soyons extrémistes. Ce qui se passe c'est que le monde est en train de se réveiller, et que de partout se soulèvent les peuples. J'ai l'impression monsieur le dictateur impérialiste que vous allez vivre jusqu’à la fin de vos jours avec un cauchemar, parce que partout où vous regarderez vous nous verrez nous soulever, nous qui nous soulevons contre l'impérialisme nord-américain. Ceux qui réclament la pleine liberté du monde, l'égalité des peuples, le respect de la souveraineté des nations ; oui, ils nous appellent extrémistes, nous nous soulevons contre l'Empire, nous nous soulevons contre le modèle de domination. Après, monsieur le président est venu vous parler, il l'a ainsi dit, "aujourd'hui je veux parler directement aux populations du Moyen Orient. Mon pays désire la paix". C'est vrai, si nous allons dans les rues du Bronx, si nous allons dans les rues de New York, de Washington, de San Diego, de Californie, de n'importe quelle ville, de San Antonio, de San Francisco, et que nous demandons aux gens dans la rue, aux citoyens étasuniens, ce pays veut la paix. La différence réside dans ce que le gouvernement de ce pays, des Etats Unis, ne veut pas la paix, il veut nous imposer son modèle d'exploitation et de rapine et son hégémonie à coups de guerres, c'est cela la petite différence. Il veut la paix et que se passe-t-il actuellement en Irak ? Qu'est-il arrivé au Liban et en Palestine ? Et que s'est-il passé depuis cent ans en Amérique Latine et dans le monde et actuellement les menaces contre le Venezuela, des nouvelles menaces contre l'Iran ?(…)Enfin, le Président des Etats Unis est venu parler aux peuples(...) Il s'est adressé au peuple d'Afghanistan, au peuple du Liban, au peuple d'Iran. Et on se demande, de la même façon que le Président des Etats Unis dit "je dis à ces peuples", que lui diraient ces peuples à lui ? Si ces peuples pouvaient s'exprimer, que lui diraient-ils ? Je vais vous le dire, parce que je connais la plus grande partie de l'âme de ces peuples, les peuples du Sud, les peuples écrasés, ils diraient : Empire Yankee go home ! Voilà quelle serait la clameur qui surgiraient de toutes parts, si les peuples du monde pouvaient lui parler d'une seule voix, à l'Empire des Etats Unis ». Bien que croyant, Chavez propose à la gauche un modèle de stratégie non pas fondée sur des valeurs, mais bien sur une évaluation sérieuse du rapport des forces en présence.
Le fossé grandissant entre riches et pauvres au sein du monde riche
Bien que cela ne débouche pas encore sur des luttes
d’envergure, le fossé entre actionnaires riches et prolétaires pauvres grandit
chaque jour un peu plus au sein des métropoles impérialistes. De même, les
conditions d’existence d’une large couche moyenne des travailleurs, notamment
dans les administrations publiques, le non marchand, le petit personnel de
cadre et employé, s’effritent lentement mais sûrement.
Le noyau ouvrier organisé et conscient issu de la grande
période industrielle, et toujours présent aujourd’hui dans quelques entreprises
importantes, a la possibilité de chercher des alliés en dehors de l’entreprise.
Si le noyau ouvrier classique, qui a joué un rôle politique essentiel au
vingtième siècle, veut encore jouer un rôle progressiste dans ce nouveau
siècle, il lui faudra rejoindre des combats extérieurs à l’usine, que ce soient
ceux des jeunes en lutte contre la restructuration de l’enseignement ou ceux
des jeunes en lutte contre la discrimination, la violence et les meurtres
racistes. Il lui faudra reprendre les revendications de ceux qui n’ont pas de
toit, pas de droits ou pas de voix et, sur cette base claire et radicale,
entraîner les couches moyennes des travailleurs dans une nouvelle « utopie »
socialiste. Sinon le déclin politique de la classe ouvrière, qui est
indissociable du déclin de la gauche, sera inéluctable.
La CGT s’est récemment honorée en France en reconnaissant
les travailleurs clandestins comme des membres à part entière du prolétariat
français et en soutenant leur combat. Si ces exemples sont encore relativement
peu nombreux, ils peuvent nous inspirer. C’est aussi ainsi que les luttes du
tiers monde et les luttes du prolétariat européen peuvent se rejoindre sur
place, à domicile et remodeler progressivement l’identité du prolétariat
européen.
Le choc des civilisations
Il existe donc de nombreuses raisons pour un optimisme
raisonnable et réaliste. Des alliances plus ou moins conscientes, plus ou moins
structurées sont déjà en train de se développer à l’échelle mondiale ; des
expériences limitées mais tournées vers l’avenir ont lieu ça et là dans toutes
les régions du monde. Pas encore de quoi nous réjouir pleinement, juste assez
pour nous donner ce courage indispensable pour affronter les défis
d’aujourd’hui. Car ce qui est précisément préoccupant, c’est l’écart qui
existe entre ces possibilités réelles d’alliance et la conscience qu’en a la
gauche occidentale.
J’ai dit en commençant que pour arriver à A, le chemin ne
serait pas le même si l’on part de B ou si l’on part de C. Les conditions dans
lesquelles la gauche défend son projet au Moyen Orient, en Amérique Latine ou
au sein de l’Union européenne sont radicalement différentes. Nous sommes
obligés d’en tenir compte chacun dans notre militantisme. En même temps, il est
essentiel que nous nous rencontrions plus souvent pour (ré)apprendre que nous
poursuivons en définitive le même projet commun, à savoir un monde débarrassé
de l’impérialisme, dans lequel les peuples construisent des relations basées
sur l’égalité, l’indépendance et la solidarité.

Nous, gauche européenne, devons mener cette lutte au sein de
« notre » communauté, ici, dans les
sanctuaires capitalistes mais ce sera d’autant moins difficile que nous le
ferons en alliance avec vous, militants de gauche et militants anti-impérialistes
du tiers monde, pour refuser ensemble de galoper tête baissée dans le mur du
choc des civilisations.
Il me semble essentiel que nous recommencions à raisonner en
termes d’impérialisme et de nations opprimées, en termes de capitalisme et de
prolétariat, en termes de luttes de classes et de libération nationale, en
termes finalement d’internationalisme prolétarien mais que nous le fassions
dans une conscience claire de notre position minoritaire et de l’indispensable
ouverture aux alliances que nous permet le monde d’aujourd’hui, tel qu’il est
réellement et non pas tel que nous le voudrions.
[1] Intervention
de Nadine Rosa-Rosso à la conférence de l’Union Internationale des
Parlementaires pour la Palestine (UIPP), 15 mai 2008.
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