Témoignage de première main de Blaarmeersen (Gand) : L'après-Blankenberge: toujours plus de racisme policier

"La police a pratiqué l’épuration ethnique" 

L'épisode de Blankenberge, et en particulier le déchaînement de propos racistes parmi les représentants des forces de l'ordre et certains hommes et femmes politiques, continuent à produire leurs effets et leurs ravages. À l'heure où la police se plaint d'être mal aimée et lance des campagnes médiatiques pour le prouver, les témoignages sur les comportements policiers sont essentiels si l'on veut essayer de comprendre ce qui est en jeu. Une jeune femme de Gand, Inge Vangheluwe, vient de publier un témoignage manifestement suscité par une profonde indignation. 

Pendant le confinement, j'ai été moi aussi confrontée à de nombreuses reprises, simplement dans mon quartier, au fait que la police ne contrôle pas de la même façon, selon la couleur de la peau des gens, pourtant tous du même quartier. À leur agressivité chaque fois qu'on essaie poliment de le leur faire remarquer. Dans ces périodes difficiles pour tout le monde, on pourrait attendre des forces dites de l'ordre qu'elles aident la population à appliquer des règles totalement nouvelles pour tout le monde, au lieu de créer un climat détestable qui ne donne qu'une envie: désobéir. C'est exactement le ressenti de cette jeune femme gantoise que je ne connais pas, qui ne semble pas être à première vue une militante de l'antiracisme mais qui a été tellement secouée par ce qu'elle a vu qu'elle n'a pas hésité à porter plainte. C'est pourquoi j'ai décidé de traduire sa lettre ouverte afin que les francophones puissent en profiter également.


(Parc récréatif de Blaarmeersen, Gand, Photo Wikipedia)

Lettre ouverte d'Inge Vangheluwe,12 août 2020, Maladive démonstration de force par la police sur la page de Blaarmeersen

C’est la première fois dans ma vie que j’envoie une lettre de plainte à la ville de Gand et à la police locale. Et j’aimerais faire appel à vous pour que vous en fassiez de même si vous aussi assistez à un tel spectacle ! Porter le masque, rester à l’intérieur, aller seul(e) faire les magasins, etc. Je peux me soumettre tranquillement à toutes ces mesures, vu que je ne suis ni virologue ni médecin. Je leur laisse donc le bénéfice du doute. Mais ce qui s’est passé hier et la démonstration de force maladive de la police que l’on voit brusquement de plus en plus partout et qu’on accepte… Cela non ! D’où cette plainte.

Je souhaite déposer plainte après la démonstration de force maladive de la police, hier, à la page de Blaarmeersen.

C’est la première fois de ma vie que je dépose plainte. J’habite à Gand depuis sept ans, et j’y suis très heureuse ; j’aime la ville et l’atmosphère qui y règne, juste un peu différente d’ailleurs en Belgique, et ma disposition d’esprit positive me souffle qu’elle est exemplaire. Nous nous soucions de l’écologie, d’une convivialité saine où chacun trouve sa place pour s’épanouir.

 Ce que j’ai vu hier m’a effrayée. Nous nous trouvions à la plage de Blaarmeersen (parc récréatif et sportif près du centre historique de Gand), de midi à dix-neuf heures environ. Nous y avons vu la police pendant certainement plus de la moitié de ce laps de temps, alors qu’aucun incident n’avait eu lieu. La police a pratiqué l’épuration ethnique avec une démonstration de force terrible.

 Beaucoup de petits groupes de jeunes qui parlaient français et avaient une couleur de peau foncée ont été renvoyés du terrain (parfois de force). La plupart étaient assis sur leurs essuies de ban ou se tenaient seuls debout. Ils ne faisaient pas jouer de la musique et ne jouaient pas au football.

 Je comprends les règles, il faut porter un masque, mais cela ne vaut pas si vous êtes assis par terre sur votre essuie de bain. En outre, beaucoup d’autres Belges n’en portaient pas non plus, et on ne leur a fait aucune remarque.

Déçue et honteuse d'être belge et blanche

Je suis profondément déçue de contribuer au financement de ceci. D’être belge et blanche. Honteuse de mes compagnons de culture. Où a-t-il jamais été productif sur le plan social de traiter ainsi un groupe minoritaire ? Nulle part, voilà la réponse, nulle part.

J’essaie de m’imaginer ce que j’aurais ressenti, quand j’avais 16 ans, si cela m’était arrivé. J’aurais été fâchée. Et si cela s’était reproduit souvent, j’aurais été en rage. Et, à vrai dire, à juste titre.

 Il faut évoquer le cadre aussi. Les gens sont là avec des enfants, des petits enfants, qui assistent à cette démonstration de force maladive. Ils voient comment un groupe de cinq jeunes est encerclé par vingt policiers. Comment ils tiennent ces jeunes et leur coupent les bracelets d’entrée. Ils voient la police en formation traverser la prairie (somme-nous en guerre ?) pour contrôler les sacro-saints masques. Profondément attristant. Comment pouvez-vous expliquer ça ? Et comment pouvez-vous expliquer qu’il s’agit chaque fois de jeunes d’une autre origine ?

 Quand nous partions, j’ai interpellé la police. J’ai reçu pour réponse que c’était nécessaire. Voient-ils quelque chose que je ne vois pas ? Où manquent-ils à ce point d’empathie pour comprendre que ce n’était pas à l’ordre du jour ?

 Pour être honnête, nous nous sentions totalement en insécurité, pas du tout à notre aise, alors que la police doit justement garantir le contraire. Je ne veux pas participer au financement de ces pratiques. Je ne veux en rien avoir affaire avec cela.

 Nous étions assis à regarder, avec beaucoup de familles, comment ce petit jeu devenait de plus en plus sérieux. Pour les trois premiers groupes, on se disait encore que c’était peut-être un hasard. Toute la prairie regardait les choses devenir de plus en plus graves. La tension était à couper au couteau, alors qu’il n’y avait que très peu de monde.

J’attends réellement un petit mot d’explication à propos de tout cela. Et une raison comme celle que m’a donnée la police n’en est pas une. Ce n’est pas parce que ces jeunes viennent pas hasard du même endroit que les jeunes qui se sont battus à Blankenberge qu’ils doivent être punis. Espérons sinon que jamais un Gantois ne commettra une faute quelque part. Ou cette règle ne compte-t-elle pas pour les personnes blanches ?

Salutations

Inge vangheluwe

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