Le paradoxe Good move : un plan qui pénalise les plus pauvres et les quartiers où il y a le moins de voitures
Le paradoxe du plan Good Move, sensé apaiser les quartiers dans la région bruxelloise, est qu’il empoisonne la vie de celles et ceux qui ont les revenus les plus bas du pays et qui utilisent déjà le moins la voiture.
Bruxelles est déjà « autoluw » !
« Autoluw », c’est en
néerlandais le but du plan Good move, qui, comme chacun sait a été pensé dans
cette langue. Il s’agit de zones faiblement motorisées. Eh bien les chiffres
nous montrent que les habitants de Bruxelles le sont déjà, faiblement motorisés.
En effet, selon Bruxelles
Environnement, « en ce qui
concerne les déplacements dans la Région bruxelloise intra-muros, la marche
arrive en première position (35%) suivie de près par la voiture (30%… contre
50% en 1999) et par les transports en commun (28%, train y compris). Le vélo se
classe loin derrière (5%)[1].
L’utilisation de la voiture a donc déjà baissé de 20 % en vingt ans et, en
gros, les Bruxellois utilisent relativement peu la voiture en intra-muros.
Les habitants de la Région
bruxelloise possèdent d’ailleurs beaucoup moins de voitures que les autres
Belges. 52% des ménages bruxellois n’a pas de voiture, alors qu’au niveau de la
Belgique, seuls 27% n’en possèdent pas ! : « En
2019, un peu moins d'un ménage bruxellois sur deux disposait d'une voiture
personnelle (48%) et seulement 10% des ménages bruxellois disposent de
plusieurs voitures, selon une récente étude de l'IBSA (l'institut bruxellois de
statistiques et d'analyse). À titre de comparaison, au niveau national, 27% des
ménages ne sont pas motorisés. Quant à la multi-motorisation (plus d'un
véhicule par ménage), Bruxelles, avec 10%, est loin derrière les autres régions
du pays, qui affichent un taux de multi-motorisation de 29% en Flandre et de
28% en Wallonie »[2].
Les chiffres sont clairs : les Bruxellois en
moyenne sont les moins motorisés du pays.
Et si on pousse l’analyse vers les quartiers qui ont
été à l’avant-plan pour s’opposer au plan Good Move, il y a encore moins de
voitures ! « Ainsi si on part de la
Grand Place pour aller vers sa périphérie, le pourcentage des ménages motorisés
passe successivement de 26% dans le Pentagone, à 38% dans la Première Couronne et
enfin à 56% dans la Deuxième Couronne de la capitale »[3].
Toujours les plus pauvres du pays
Ce n’est pas un hasard : les
quartiers situés les plus au centre de la région font aussi partie des plus
pauvres au niveau du pays. La toute récente étude de Statbel le confirme,
malheureusement, encore une fois : « la
commune bruxelloise de Saint-Josse-ten-Noode affiche le revenu moyen par
habitant le plus faible, avec 10.564 euros. Suivent deux autres communes
bruxelloises : Molenbeek-Saint-Jean et Anderlecht ».
On peut donc raisonnablement
affirmer, au vu de tous ces chiffres, que, dans les quartiers populaires qui se
sont opposés au plan, parfois en employant les grands moyens, si le gens ont
une voiture, c’est parce qu’ils en ont vraiment besoin, que ce soient pour des
raisons professionnelles, familiales ou de loisirs.
Bruxelles est une capitale
économique, avec ce paradoxe que beaucoup de personnes qui travaillent à Bruxelles
sont des navetteurs (au nombre de 371 000) venant, pour la plus grande
partie des deux provinces du Brabant et que beaucoup d’habitants de Bruxelles
doivent faire la navette inverse pour rejoindre leur lieu de travail (pensons
notamment aux zonings de Zaventem ou du Brabant Wallon).
Or les deux Brabant sont
précisément les deux provinces belges les plus riches. « Ce sont
toujours les deux Brabant qui occupent la tête du classement des revenus les
plus élevés. Dans le Brabant flamand, le revenu moyen annuel par habitant
s'élevait à 22.836 euros net et dans son voisin wallon, à 22.482 euros »[4].
Baladez-vous à Rixensart et vous verrez nombre de maisons unifamiliales, avec
garage(s) et deux voitures devant la porte. Et les travailleurs de ces deux
provinces font partie des navetteurs qui emploient le plus la voiture pour se
rendre à leur travail dans la capitale. La raison principale est que l’accès en
train à partir des deux provinces voisines est malaisé. « En cause notamment, les fameux navetteurs qui jouent un
grand rôle dans la congestion de la capitale. D’après les chiffres de Bruxelles-Environnement, ils
représentent 190 000 voitures chaque jour sur les routes de la capitale, contre
175 000 pour les seuls Bruxellois »[5].
Pour rappel, on attend le RER
depuis…vingt ans ! « Malgré les objectifs affichés dans
la convention de 2003, la création d’un véritable réseau RER intégrant les transports
des 4 compagnies de transports (STIB, SNCB, TEC, De Lijn) est encore loin
d’être une réalité. En 15 ans, les seules avancées notables concernent
l’interopérabilité de la carte d’abonnement Mobib ainsi que la certification de
certaines gares comme pôles d’échanges intermodaux »[6].
Quant aux travailleurs bruxellois
se rendant dans les zonings de la périphérie, généralement pour des emplois
ouvriers ou de services, les horaires de travail ne sont souvent pas
compatibles avec ceux des transports en commun.
Ce n’est pas un choix « auto ou vélo »
Le débat sur le plan Good Move n’a
donc rien d’un débat « voiture ou vélo », comme les chiffres
l’indiquent également. Même si le nombre de personnes qui se mettront au vélo
peut augmenter, cela ne résoudra nullement la question de la mobilité à Bruxelles.
Bruxelles n’est pas une ville plate comme Ostende ou Gand, ce n’est pas pour
rien qu’on a plus l’habitude d’enfourcher sa bécane pour les activités de tous
les jours (je ne parle pas ici du vélo en tant que sport ou loisir) dans le
plat pays. Bruxelles est pleine de rues étroites, pavées, de montées raides, de
rails de tram, elle ne deviendra jamais une ville où la bicyclette réglera la
question de la mobilité. Pour nombre de Bruxellois des quartiers pauvres, il
n’y a tout simplement pas d’endroit chez soi pour caser sa bicyclette, celle se
son partenaire et celles de ses enfants !
Il faut cesser de rêver de
transformer Bruxelles en village. Ce n’est pas la demande des habitants. Leur
première demande est sans doute de cesser d’être, d’étude en étude, les
habitants les plus pauvres de ce pays. Ce qui implique beaucoup de choses, et
en tout cas, que Bruxelles reste une capitale économique qui fournit de bons
emplois à ses habitants. Rappelons ici que nombre de commerçants ont quitté ou
pensent à quitter la capitale, et nombre d’entreprises extérieures renoncent à
y conclure des contrats vu toutes ces nouvelles dispositions impraticables.
Quant aux navetteurs brabançons qui
viennent y travailler, ils sont les bienvenus mais il faut créer les conditions
pour qu’ils utilisent moins la voiture pour s’y rendre, avant tout en réalisant
les objectifs du RER ou toute autre façon collective de faciliter l’accès à la
capitale à partir de ses banlieues. Mais aussi en liquidant le système de voitures
de société, qui est un salaire déguisé, mais sans contribution à la richesse
publique (impôts et sécurité sociale) : « La part des
travailleurs sous contrat à durée déterminée disposant d’une voiture de société
a augmenté de 7% entre début 2019 et mi-2022, passant de 23,4% à 25%, selon les
résultats d’une enquête de Securex »[7]. Un quart du parc automobile ! Les navetteurs doivent
être encouragés, aussi financièrement, à abandonner la voiture pour se rendre
au travail.
Bref, ce n’est pas en obligeant les
habitants des quartiers populaires à tourner un quart d’heure en rond autour de
leur domicile qu’on résoudra quoi que ce soit aux problèmes de mobilité, c’est
le contraire qui se produit. Quant à apaiser les quartiers, la pratique a
démontré que ces habitants ont ressenti ce plan comme une humiliation pure et
simple. Et ils ont bien raison : ce ne sont pas eux qui congestionnent
Bruxelles, mais ce sont bien eux qui y vivent et la font vivre.
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